Les soirs de fatigue elle imaginait des lèvres ourlées, des lèvres qui l’hypnotiseraient par leurs gracieux mouvements, des lèvres d’où sortiraient des mots magiques qui mis bout à bout formeraient des récits de voyages. « Racontez-moi, leur supplierait-elle en silence, racontez-moi le sifflet des trains, la sirène des paquebots, l’hublot des avions, les annonces de départs, les mouchoirs, les déchirements, le brouhaha, le dernier baiser, la dernière étreinte, celle qui vaut toutes les autres, le premier espoir. Racontez-moi la dernière cigarette que l’on fume avant le coup de sifflet, avant la grande aventure . Racontez-moi l’immensité et le secret de l’invisible. Je ne supporte plus toutes ces cages, ces couloirs, ces compartiments, ces comportements, ces idées étroites, ces petits sentiments frileux et économes … ». Avec « le fil des jours comme unique voyage » comme disait un Certain elle traînait ses valises sous ses yeux sans que personne daignât les lui porter un peu. Elle avait le cœur presque en état d’urgence et personne pour entendre ou voir sa sirène, son girophare. Il fallait dompter cette féroce rancune qui rugissait encore dans la cage de son enfance si elle ne voulait pas finir dévorée.